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Une jeune fille au sourire fragile par Pierre Pelot

Fiche de Une jeune fille au sourire fragile

Titre : Une jeune fille au sourire fragile
Auteur : Pierre Pelot
Date de parution : 1991
Editeur : Bragelonne

Première page de Une jeune fille au sourire fragile

« Et dans moins de quinze jours, se disait-elle, ce serait Noël. Elle ne parvenait pas à y croire, ni même à se faire vraiment à cette idée.

C’était quelque peu différent des autres années. D’ordinaire, elle détestait cette période des fêtes comme une espèce de grand fleuve de lumières dans lequel vous vous retrouvez fatalement emportée malgré vous : vous avez beau tout faire pour vous en défendre, c’est inutile et parfaitement inefficace… à moins de vous exiler pour un temps en plein cœur de quelque désert, et encore… Mais là, oui, pour une fois, c’était quelque peu différent.

D’abord, il y avait cette crevasse noire dans le temps, cette faille profonde de laquelle elle venait de s’extraire et qui fatalement changeait tout. Le paysage n’est jamais tout à fait le même de l’autre côté du précipice, quand vous l’avez franchi. Fatalement. »

Extrait de : P. Pelot. « Une jeune fille au sourire fragile. »

Si loin de Caïn par Pierre Pelot

Fiche de Si loin de Caïn

Titre : Si loin de Caïn
Auteur : Pierre Pelot
Date de parution : 1988
Editeur : Bragelonne

Première page de Si loin de Caïn

« Parfait se retrouvait dehors, une fois de plus.

S’il en ressentait quelque satisfaction, elle ne se lisait pas sur son visage, renfrogné comme à l’ordinaire.

C’était un homme d’une quarantaine d’années Parfait Samson, né le 13 août 1944 exactement –, pas très grand, ni gros, mais des épaules larges et des vêtements flottants : un pantalon battle-dress sans couleur bien définie, une veste de drap noir usée et luisante au col et aux coudes… Aux pieds, des godillots qui bâillaient de la languette (faute de lacets) et de la semelle aussi, menaçant de tomber en pièces détachées au moindre mouvement. »

Extrait de : P. Pelot. « Si loin de Caïn. »

Pauvres z’héros par Pierre Pelot

Fiche de Pauvres z’héros

Titre : Pauvres z’héros
Auteur : Pierre Pelot
Date de parution : 1982
Editeur : Bragelonne

Première page de Pauvres z’héros

« Le courant d’air chaud troussait gaillardement l’automne, sud-est/nord-ouest, suivant une ligne Bordeaux-Reims-Strasbourg. Cela donnait du vingt et un, vingt-deux degrés sous abri. Si le chiffre n’était pas extraordinaire pour Bordeaux, l’évidence n’était pas la même en ce qui concernait le Nord-Est. Là-haut, octobre n’habitue pas aux câlins, aux vents coulis d’agréable compagnie ; un vingt-deux degrés sous abri, à la trouée d’automne, imprime dans la mémoire des renifleurs de nuages le signe d’une année pas ordinaire.

Sans être un renifleur particulièrement doué, Nanase possédait la banale faculté de se souvenir du visage habituel des saisons, et des douceurs à ce point aoûtiennes en octobre le laissaient surpris, sans une seule référence éblouissante en bordure de mémoire. Mais il n’était pas bien vieux. Il pouvait encore conjuguer le verbe « se souvenir » devant un juvénile interlocuteur sans que ce dernier lève les yeux au ciel en attendant que ça passe… »

Extrait de : P. Pelot. « Pauvres Z’héros. »

Oregon – l’intégrale par Pierre Pelot

Fiche de Oregon – l’intégrale

Titre : Oregon – l’intégrale (saison 1 à saison 5)
Auteur : Pierre Pelot
Date de parution : 2017
Editeur : Bragelonne

Première page de Oregon – l’intégrale

« Plus tard, celui des trois qu’on surnommait Pipo commencera l’histoire en affirmant que c’était Thomas, Thomas Sillet, qui était venu le chercher.

Racontant :

— C’est Thomas qui est venu me chercher. Sans lui, je suppose que j’en serais toujours à l’heure actuelle à trifouiller mes moteurs… et à me demander comment le gamin a pu s’en sortir avec la berline que ce gros type à la voix éraillée de gangster de cinoche nous a amenée deux jours avant, le vendredi, je crois bien, et que j’avais promis de rendre neuve pour le vendredi suivant. Huit jours. J’avais promis. Bien sûr je fais confiance au gamin. Si c’est pas de la confiance que de le laisser se débrouiller tout seul avec le garage, à treize ans, alors comment ça s’appelle ?

« Mais aussi doué qu’il puisse être et consciencieux et capable, et tout ce qu’on veut, c’est quand même qu’un gamin de 13 ans, ce qui fait pas lourd quand on y réfléchit. Je dis pas ça en mal. Je suis peut-être le dernier sur cette terre de calamités à ne pas juger quelqu’un sur la mine ou son âge, ces apparences-là, si je me fais bien comprendre. »

Extrait de : P. Pelot. « Oregon – L’Intégrale. »

Noires racines par Pierre Pelot

Fiche de Noires racines

Titre : Noires racines
Auteur : Pierre Pelot
Date de parution : 1985
Editeur : Bragelonne

Première page de Noires racines

« Popeye ouvrit un œil et se sentit très mal, comme à chaque fois qu’il remontait du trou. Mal dans sa tête, mal dans sa peau. Au goût pâteux qui lui entartrait le palais et la langue, il estima sans erreur possible qu’il s’agissait d’une cuite au vin rouge. C’était bien la seule chose dont il puisse être sûr. Pour le reste, jusqu’à un certain point, de vagues souvenirs flottaient…

Il ouvrit l’autre œil.

Ferma la bouche et saliva avec ardeur afin de se décalcifier la langue. Du vin rouge, oui, et pas du meilleur. Probable que les autres lui avaient encore joué quelque tour de vache, lui faisant avaler des mélanges, ou saupoudrant de cendre de cigarette le contenu de son verre, des choses comme ça. Il ne chercha même pas à se rappeler, ce n’était pas la peine et il le savait. Mais il était à peu près certain que les autres en avaient profité pour s’amuser à ses dépens. Il ne leur en voulait pas. C’étaient des amis. C’était le jeu. Lui-même suivait la règle sans se faire prier, à la moindre occasion. »

Extrait de : P. Pelot. « Noires racines. »

Natural killer par Pierre Pelot

Fiche de Natural killer

Titre : Natural killer
Auteur : Pierre Pelot
Date de parution : 1985
Editeur : Bragelonne

Première page de Natural killer

« Il marchait, accompagné par l’ombre que dessinaient les étoiles à ses pieds et les aboiements assourdis des chiens éparpillés dans la nuit…

Il marchait comme moi, c’était moi.

Il était comme moi (c’était moi !), comme j’aurais pu le raconter, l’écrire. Les mots dans ma tête, ces hôtes chamailleurs au caractère impossible, avec leurs dents dures pour séduire et s’imposer toujours coûte que coûte, les mots s’étaient levés d’eux-mêmes, depuis longtemps déjà – depuis combien de temps ? je ne sais pas exactement, mais longtemps –, s’étaient rangés en bon ordre et me plaisaient bien, je les avais adoptés. Ils venaient d’alentour autant que de moi. C’était de l’amitié. Ils me tenaient vaguement chaud – eux seuls étaient capables de ce tour de force. Vaguement chaud, et pourtant :

L’hiver me coulait dans les veines, y charriant un froid total et si parfait qu’il en brûle : un froid différent de celui qui avait pris possession de tout, mangeait tout. »

Extrait de : P. Pelot. « Natural Killer. »

Mourir au hasard par Pierre Pelot

Fiche de Mourir au hasard

Titre : Mourir au hasard
Auteur : Pierre Pelot
Date de parution : 2013
Editeur : Bragelonne

Première page de Mourir au hasard

« C’était un froid dur et noir, comme si le canal du Rhin, au nord, soufflait à travers toute la ville son haleine polaire. Un froid à vous fêler les dents, vous dépiauter les bronches. Il fallait bien respirer, vaille que vaille.

Zien Doors était en train de se dire : Mon vieux Zien, ne crois-tu pas qu’il y a mille choses plus intéressantes, dans la vie, que se geler les pieds dans cette espèce de mauvaise boîte à sandwichs mal chauffée ? Hein ? Des choses plus passionnantes que surveiller l’autre côté de la rue en attendant qu’une vieille dame de quarante-huit, quarante-neuf ans, sorte de cette putain de maison ?

Il remua ses pieds, frottant les semelles minces de ses chaussures sur le carrelage froid, en espérant que la friction dégagerait un peu de chaleur, une sorte de petit rayonnement amical suffisamment énergique pour traverser la barrière gluante de ses chaussettes poisseuses de sueur. »

Extrait de : P. Pelot. « Mourir au hasard. »

Les îles du vacarme par Pierre Pelot

Fiche de Les îles du vacarme

Titre : Les îles du vacarme
Auteur : Pierre Pelot
Date de parution : 1981
Editeur : Bragelonne

Première page de Les îles du vacarme

« Comment un homme normal aurait-il pu raisonnablement aimer Lorane ?

Ce n’était pas la première fois qu’il se posait la question ; en fait, il se l’était posée aussitôt après l’avoir rencontrée. Dans les mois qui suivirent, elle devint une sorte de leitmotiv qui ne manquait jamais de s’imposer à lui, tous les jours, tôt ou tard, lui vrillant le crâne et interrompant le cours ordinaire de ses pensées… Il s’en était accommodé. Et n’avait toujours pas trouvé de réponse satisfaisante.

Peut-être était-ce mieux, finalement ? Une réponse satisfaisante ne signifierait-elle pas la fin de quelque chose ? Encore une question à laquelle Dylan Dancer Moab, le Veilleur, ne voulait surtout pas apporter l’ombre d’une réponse. Rien qui aurait pu clarifier le problème. Surtout pas… »

Extrait de : P. Pelot. « Les Îles du vacarme. »

Les caïmans sont des gens comme les autres par Pierre Pelot

Fiche de Les caïmans sont des gens comme les autres

Titre : Les caïmans sont des gens comme les autres
Auteur : Pierre Pelot
Date de parution : 1996
Editeur : Bragelonne

Première page de Les caïmans sont des gens comme les autres

« On entendit d’abord la voiture arriver – forcément. Ensuite, on l’entendit ralentir et freiner. Et puis ses pneus sur le gravier, le moteur coupé. Un court instant plus tard, la portière qui claquait.

Au moment même où l’homme franchissait le seuil, une mouche tomba dans le verre de bière du gamin, bien que cela n’eût probablement aucun rapport avec l’entrée de l’étranger, en dépit de la sévère odeur de merde qui flotta aussitôt dans la salle du café. C’était juste une coïncidence. En réalité, le gamin ne prêta aucune attention à la mouche dans son verre. Il y avait une bonne douzaine d’autres cadavres d’insectes sur le bar de formica, certains pas encore tout à fait cadavres et zizillant leur agonie en tournoyant sur le dos. La senteur de merde filtrait insidieusement à travers cette autre odeur pas vraiment flatteuse du produit tue-mouches vaporisé dans l’atmosphère pesante et chaude de la fin de journée. Ce que regardait le gamin, c’était le type qui venait d’entrer. »

Extrait de : P. Pelot. « Les caïmans sont des gens comme les autres. »

Le sourire des crabes par Pierre Pelot

Fiche de Le sourire des crabes

Titre : Le sourire des crabes
Auteur : Pierre Pelot
Date de parution : 1977
Editeur : Bragelonne

Première page de Le sourire des crabes

« La maison était douce, les bruits n’y venaient pas.

Polipotern dansait quelque part au-dehors, ou ailleurs, je ne sais pas. Je ne sais pas encore, et ne connais pas Polipotern.

La maison était douce, molle, bien taillée sur mesure. À ma mesure. C’est bien.

Je dors.

Il y a une porte à ma maison, porte que je pousse, en souriant, car je souris toujours. Il fait chaud, il fait mou. J’ai le choix. Alors je choisis la mer – je ne sais pas ce que c’est, mais je choisis la mer. À cause de l’eau, peut-être… C’est certainement à cause de l’eau.

C’était ainsi depuis toujours, depuis cette première fois où quelqu’un inventa le mot Temps. La maison molle et agréable, avec la porte poussée, sur la mer ou le sable. Avec la chaleur du soleil. Et j’ai su que les choses allaient changer. »

Extrait de : P. Pelot. « Le Sourire des crabes. »