Étiquette : Lessing

 

Victoria et les Staveney par D. Lessing

Fiche de Victoria et les Staveney

Titre : Victoria et les Staveney
Auteur : Doris Lessing
Date de parution : 2010
Traduction : P. Giraudon
Editeur : J’ai lu

Première page de Victoria et les Staveney

« La cour de récréation était déjà plongée dans une ombre glacée. En arrivant au portail, les gens regardaient dans la direction d’où s’élevaient les voix de deux groupes d’enfants. Il était malaisé de distinguer qui était qui. Une sorte d’instinct permettait aux enfants du groupe le plus important de reconnaître leurs proches parmi les arrivants, et ils se précipitaient vers eux, seuls ou par paires, afin qu’on les ramène à la maison. Deux enfants restaient isolés au milieu du terrain, lequel était entouré de hauts murs surmontés de tessons de verre. Ils faisaient beaucoup de bruit. Un petit garçon se démenait, distribuait des coups de pied à l’aveuglette, en hurlant :
— Il a oublié. J’avais bien dit à maman qu’il oublierait !
Une fillette essayait de le calmer et de le consoler. Lui était grand pour son âge, tandis qu’elle était fluette, la tête hérissée de nattes raides dont les rubans roses pendaient, amollis par l’humidité froide. Elle était plus vieille que lui, mais non plus grande. »

Extrait de : D. Lessing. « Victoria et les Staveney. »

Un enfant de l’amour par D. Lessing

Fiche de Un enfant de l’amour

Titre : Un enfant de l’amour
Auteur : Doris Lessing
Date de parution : 2003
Traduction : I. D. Philippe
Editeur : Flammarion

Première page de Un enfant de l’amour

« Un jeune homme descendit d’un train à Reading ; il donna à la valise qu’il tenait un mouvement si maladroit qu’elle faillit heurter le visage d’un autre jeune homme. Ce dernier se retourna en portant une main à sa tête pour donner plus de poids à son indignation, mais son froncement de sourcils s’effaça dans l’instant, et il s’écria :
— James Reid. Mais c’est Jimmy Reid !
Tous deux se serrèrent la main et se tapèrent dans le dos dans le nuage de vapeur qui s’échappait en sifflant de la motrice.
Deux ans plus tôt ils avaient été ensemble au lycée. Depuis cette époque, James suivait des cours de gestion et de comptabilité ; il avait salué la nouvelle que Donald « faisait de la politique » par un « Bravo, un métier qui paie bien ! » Car Donald avait toujours su tirer parti des aubaines qui se présentaient à lui, des voyages et des circonstances, alors que lui, James, continuait à compter chaque sou. »

Extrait de : D. Lessing. « Un enfant de l’amour. »

Les grand-mères par D. Lessing

Fiche de Les grand-mères

Titre : Les grand-mères
Auteur : Doris Lessing
Date de parution : 2003
Traduction : I. D. Philippe
Editeur : J’ai lu

Première page de Les grand-mères

« De part et d’autre d’un petit promontoire surchargé de cafés et de restaurants s’étendait une mer folâtre mais modérée. Rien en tout cas qui approchât du véritable océan, lequel grondait et rugissait à l’extérieur du trou béant formé par l’arrondi de la baie et la barrière corallienne que tout le monde appelait – cela figurait même sur les cartes – Baxter’s Teeth. Qui était ce Baxter ? Bonne question, souvent posée, à laquelle répondait un parchemin artistement patiné accroché au mur du restaurant situé au bout du promontoire. Cet établissement occupait le plus bel emplacement, le plus élevé donc le plus prestigieux. Baxter’s était son nom; on racontait que l’arrière-salle de brique légère et de roseau avait été la hutte de Bill Baxter, qu’il l’avait bâtie de ses propres mains. Ce Baxter était un navigateur infatigable, un marin qui avait découvert par hasard cette baie paradisiaque et son petit cap rocheux. Des variantes plus anciennes de la légende mentionnaient aussi des indigènes pacifiques et hospitaliers. Mais d’où provenaient ces « Dents » accolées à son nom ? »

Extrait de : D. Lessing. « Les grands-mères. »

Le temps mord par D. Lessing

Fiche de Le temps mord

Titre : Le temps mord
Auteur : Doris Lessing
Date de parution : 2004
Traduction : P. Giraudon
Editeur : Flammarion

Première page de Le temps mord

« L’approche de la vieillesse, cette via dolorosa, nous est présentée comme une longue descente après l’âge d’or de la jeunesse. Pourtant on trouverait difficilement quelqu’un que la perspective de revivre son adolescence ou même ses vingt ans ne ferait pas frémir. On n’apprend que lentement à apprivoiser ses propres émotions. J’ai entendu bien des gens déclarer que la trentaine ou la quarantaine étaient pour eux le meilleur âge. La vie humaine, que Shakespeare considère comme une succession d’étapes, n’est pas clairement délimitée, surtout quand on découvre sur soi très jeune les signes avant-coureurs du vieillissement, avec l’apparition des premiers cheveux blancs, comme de la neige en plein été.

Il reste que nous savons qu’un moment va venir où certains événements vont se produire. Nous sommes avertis, on ne cesse d’en parler. Les dents, les yeux, les oreilles, la peau : rien ne pourra vous surprendre, vous semble-t-il. »

Extrait de : D. Lessing. « Le Temps mord. »

Le rêve le plus doux par D. Lessing

Fiche de Le rêve le plus doux

Titre : Le rêve le plus doux
Auteur : Doris Lessing
Date de parution : 2001
Traduction : I. D. Philippe
Editeur : Flammarion

Première page de Le rêve le plus doux

« Un début de soirée d’automne. La rue en contrebas offrait un décor de petites lumières jaunes, évocatrices d’intimité, et de gens déjà habillés chaudement pour l’hiver. Dans son dos, la pièce se remplissait d’une fraîche obscurité, mais rien ne pouvait l’atteindre : elle était sur un petit nuage, aussi heureuse qu’un enfant qui venait de faire ses premiers pas. La raison de cette légèreté inhabituelle était un télégramme de son ex-mari, Johnny Lennox – le camarade Johnny – reçu trois jours plus tôt. SIGNÉ CONTRAT POUR FILM SUR FIDEL TE RÈGLE DIMANCHE TOTALITÉ ARRIÉRÉS ET MOIS EN COURS. Aujourd’hui, on était dimanche. Le recours à l’expression « totalité arriérés » s’expliquait, elle en était sûre, par une sorte d’exaltation fébrile, proche de ce qu’elle-même ressentait en ce moment : il n’était pas question qu’il lui paie la « totalité », ce qui devait, à l’heure actuelle, représenter une telle somme qu’elle ne se donnait même plus la peine d’en tenir la comptabilité. Mais il devait certainement attendre un joli paquet pour se montrer si sûr de lui. À ce moment-là, un léger trouble – l’appréhension ? – la saisit. »

Extrait de : D. Lessing. « Le Rêve le plus doux. »

Le monde de Ben par D. Lessing

Fiche de Le monde de Ben

Titre : Le monde de Ben
Auteur : Doris Lessing
Date de parution : 2000
Traduction : M. Véron
Editeur : J’ai lu

Première page de Le monde de Ben

«  Quel âge avez-vous ?
— Dix-huit ans. »
La réponse ne vint pas tout de suite car Ben redoutait ce qui, il le savait, allait arriver maintenant ; et en effet, derrière la vitre qui le protégeait du public, l’employé posa son stylo-bille sur le formulaire qu’il remplissait, puis, avec sur son visage une expression que Ben connaissait trop bien, examina son client d’un regard à l’amusement empreint d’impatience qui n’était pas tout à fait de la dérision. L’homme qu’il avait devant lui était petit, gros, ou en tout cas trapu. La veste qu’il portait était trop grande pour lui. Il devait avoir au moins quarante ans. Et ce visage ! C’était une large face aux traits grossiers, dont la bouche s’étirait en un grand sourire – qu’est-ce qu’il pouvait bien trouver de si fichtrement drôle ? -, un nez épaté aux narines dilatées, des yeux glauques avec des cils roux pâle, sous des sourcils en bataille de la même couleur. »

Extrait de : D. Lessing. « Le monde de Ben. »

Le cinquième enfant par D. Lessing

Fiche de Le cinquième enfant

Titre : Le cinquième enfant
Auteur : Doris Lessing
Date de parution : 1988
Traduction : M. Véron
Editeur : Albin Michel

Première page de Le cinquième enfant

« Harriet et David se rencontrèrent à une fête d’entreprise à laquelle ni l’un ni l’autre n’avait eu envie d’aller, et tous deux surent à l’instant même que c’était là ce qu’ils attendaient. Quelqu’un d’assez conservateur, démodé, pour ne pas dire vieillot; timide, difficile à contenter : voilà comment les autres les définissaient, il n’y avait pas de fin aux qualificatifs désobligeants qu’ils s’attiraient. Ils défendaient obstinément une certaine vision d’eux-mêmes, qui était la banalité et le droit à la banalité, sans pour autant avoir à subir de critiques pour leurs exigences émotionnelles et leur abstinence simplement parce que c’étaient là des qualités passées de mode.

A cette fameuse fête d’entreprise, environ deux cents personnes s’entassaient dans une longue salle solennelle, qui était une salle de conseil d’administration trois cent trente-quatre jours par an. Trois sociétés associées, toutes liées à la construction immobilière, tenaient là leur fête de fin d’année. »

Extrait de : D. Lessing. « Le Cinquième enfant. »

Le carnet d’or par D. Lessing

Fiche de Le carnet d’or

Titre : Le carnet d’or
Auteur : Doris Lessing
Date de parution : 1962
Traduction : M. Véron
Editeur : Albin Michel

Première page de Le carnet d’or

« Les deux femmes étaient seules dans l’appartement.
« En fait, ça craque par tous les bouts », dit Anna tandis que Molly reposait le récepteur.
Molly passait sa vie au téléphone. Avant qu’il ne sonne, cette fois, elle avait juste eu le temps de demander à Anna : « Alors ? Quels sont les derniers cancans ? » Et elle annonça en revenant du téléphone : « C’est Richard. Il arrive. Son seul instant libre d’ici un mois, du moins il le prétend.
— De toute façon je ne m’en irai pas, dit Anna.
— Surtout pas, reste où tu es. »
Molly s’examina d’un œil critique : elle portait un pantalon et un pull-over aussi défraîchis l’un que l’autre. « Il n’aura qu’à me prendre comme je suis, décréta-t-elle en s’asseyant devant la fenêtre. »

Extrait de : D. Lessing. « Le Carnet d’or. »

Filles impertinentes par D. Lessing

Fiche de Filles impertinentes

Titre : Filles impertinentes
Auteur : Doris Lessing
Date de parution : 1984
Traduction : P. Giraudon
Editeur : Flammarion

Première page de Filles impertinentes

« Une photographie de ma mère me la présente sous les traits d’une collégienne imposante, au visage rond empreint de cette assurance caractéristique, me semble-t-il, de l’ère victorienne. Ses cheveux sont noués en arrière avec un ruban noir. Elle porte l’uniforme du collège – un large chemisier blanc et une longue jupe sombre. Sur une photographie prise quarante-cinq ans plus tard, elle apparaît maigre, vieille et sévère, et nous regarde bravement du fond d’un monde de déception et de frustration. Elle est debout près de mon père, la main sur le dossier de sa chaise. Il est contraint de rester assis car il est malade. Comme toujours. Manifestement, il a toutes les peines à se tenir droit. Cependant il arbore le complet de rigueur, sans doute parce qu’elle lui a demandé de faire cet effort. Elle porte une robe de couturière plutôt élégante, confectionnée dans un coupon acheté en solde.
Ce récit a pour objet la distance qui sépare ces deux photographies. Il semble qu’il m’ait fallu toute une vie pour comprendre mes parents, au long d’un chemin jalonné de surprises. »

Extrait de : D. Lessing. « Filles impertinentes. »

Ces prisons où nous choisissons de vivre par D. Lessing

Fiche de Ces prisons où nous choisissons de vivre

Titre : Ces prisons où nous choisissons de vivre
Auteur : Doris Lessing
Date de parution : 1986
Traduction : P. Giraudon
Editeur : Flammarion

Première page de Ces prisons où nous choisissons de vivre

« Voilà bien longtemps, un fermier aussi prospère que respecté possédait l’un des plus beaux troupeaux de vaches laitières du pays, si bien que des fermiers de toute la partie méridionale du continent venaient lui demander des conseils. Cela se passait dans l’ancienne Rhodésie du Sud, où j’ai grandi et qui s’appelle maintenant le Zimbabwe. Quant à l’époque, c’était juste après la Seconde Guerre mondiale.

Je connaissais bien ce fermier et sa famille. Il était d’origine écossaise et décida de faire venir d’Écosse un taureau exceptionnel. À cette époque, la science n’avait pas encore découvert comment expédier d’un continent à l’autre par la poste de petits paquets contenant de futurs veaux. L’animal arriva le jour dit, en avion naturellement, et eut droit à un comité d’accueil composé de fermiers, d’amis, de connaisseurs. »

Extrait de : D. Lessing. « Ces prisons où nous choisissons de vivre. »