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Rézo par Laurent Genefort

Fiche de Rézo

Titre : Rézo
Auteur : Laurent Genefort
Date de parution : 1993
Editeur : Fleuve noir

Première page de Rézo

« Devin Destréez s’accouda à la rambarde de la fontaine, au pied du plus haut building du monde. Des projecteurs invisibles transformaient l’eau en cascades de plomb fondu, qui bouillonnaient d’énormes dés amalgamés les uns aux autres. L’adolescente pouvait voir, en contrebas, le tapis lumineux de Veracruz effiloché sur la baie, qui piquetait la nuit. L’intense pollution lumineuse l’avait toujours gênée pour regarder Jupiter ou les cratères de la Lune au télescope, les nuits d’insomnie. Des nuits comme celle-ci.

Devin soupira. Depuis combien d’années n’avait-elle pas touché à son télescope ? Si ça se trouvait, l’azote liquide du capteur avait fini par fuir et il était inutilisable.

La rumeur d’un trafic autoroutier montait d’un lacis d’échangeurs, à moins de deux cents mètres. En dépit de l’heure tardive, il y avait toujours de l’affluence autour de la Flèche Wright-Guofeng, une tour de trois mille six cents pieds de haut qui s’enfonçait dans les nuages. »

Extrait de : L. Genefort. « Rézo. »

Rempart par Laurent Genefort

Fiche de Rempart

Titre : Rempart
Auteur : Laurent Genefort
Date de parution : 2011
Editeur : Bélial

Première page de Rempart

« 2019
C’est cette année-là que les Bouches se sont ouvertes. Deux d’abord, une au-dessus du Pacifique et une autre au milieu de la mer de Chine. Rien de grave pour la sécurité mondiale : ce qui en sortait, la plupart du temps, tombait dans un grand « plouf », se débattait quelques secondes avant de se noyer. L’avantage d’avoir beaucoup d’océans…
Le choc a été brutal pour les grandes religions : le choc de l’innocence perdue. Par contre, pour un paquet de sectes, ça a été du pain bénit, tous ces aliens qui déboulaient sur notre belle planète bleue. Mais ensuite, même elles ont été débordées. Trop de variété, trop de biochimies, trop de langages différents… trop tout court.
Car d’autres Bouches se sont ouvertes sur la terre ferme. Par dizaines. »

Extrait de : L. Genefort. « Rempart. »

Points chauds par Laurent Genefort

Fiche de Points chauds

Titre : Points chauds
Auteur : Laurent Genefort
Date de parution : 2012
Editeur : Bélial

Première page de Points chauds

« C’est cette année-là que les Bouches se sont ouvertes. Deux d’abord, une au-dessus du Pacifique et une autre au milieu du golfe du Bengale. Rien de grave pour la sécurité mondiale : ce qui en sortait tombait dans un grand « plouf », se débattait quelques secondes avant de se noyer. L’avantage d’avoir beaucoup d’océans.

Voilà. Nous n’étions plus seuls.

À cette époque, je sortais du lycée pour intégrer l’école des sous-officiers d’active. Mon père était instructeur, ma mère comptable dans l’armée de terre. Ils s’attendaient à ce que je postule à Saint-Cyr, j’en avais les capacités et le goût de la théorie. Mais moi, c’est le terrain qui m’intéressait. Pas seulement pour les sensations fortes et pour voyager. Pour secourir aussi, m’impliquer. Servir, pour servir à quelque chose : ce n’était pas qu’un slogan, cela avait une signification réelle. À la seconde où j’ai vu les images des premières Bouches qui s’ouvraient sur la terre ferme et tous ces aliens en dégorger, j’ai su que plus rien, jamais, ne serait comme avant. Pour le monde comme pour moi. »

Extrait de : L. Genefort. « Points chauds. »

Opexx par Laurent Genefort

Fiche de Opexx

Titre : Opexx
Auteur : Laurent Genefort
Date de parution : 2022
Editeur : Bélial

Première page de Opexx

« Les problèmes ne surviennent pas outre-monde. Ceux en dehors des risques du métier, je veux dire. Ils se produisent en permission, quand on a le temps de cogiter.

De mon côté, je ne risque pas d’en poser, des problèmes. On m’a diagnostiqué un syndrome de Restorff. Un profil recherché par le commandement Opexx, les opérations militaires ultramondaines, parce qu’au retour d’une mission, on ne souffre jamais de troubles post-traumatiques — ni de ce que les médias ont appelé le « spleen opexx ». En contrepartie, mon empathie s’en ressent. La norme considère le Restorff comme un handicap, et ça l’est probablement. Je ne le saurai jamais, mais Claire n’a-t-elle pas coutume de dire que j’avance dans la vie sans espoir et sans crainte ?

Pas en opération, en tout cas, au contraire. Au débriefing, dans le sas de décompression, mon psy vérifie si des tics ne sont pas apparus sur mon visage, si je m’occupe convenablement de ma femme et de ma fille durant les permissions, si je ne me renferme pas quand on m’interroge sur le boulot, si mon entourage a constaté récemment des écarts de conduite. Rien de tout cela, mon comportement est aussi lisse que d’habitude. »

Extrait de : L. Genefort. « Opexx. »

Mémoria par Laurent Genefort

Fiche de Mémoria

Titre : Mémoria
Auteur : Laurent Genefort
Date de parution : 2012
Editeur : Bélial

Première page de Mémoria

«  J’ai le droit de savoir pourquoi tu vas me buter, non ? » demanda Norodom.
Il ne se débattait plus. Il avait compris qu’il ne parviendrait jamais à briser la chaise sur laquelle il était ligoté, car l’inhibiteur neural que je lui avais posé sur la nuque l’empêchait de remuer le petit doigt. S’il était attaché, c’était avant tout pour ne pas qu’il s’effondre. Il ne pouvait ni bouger, ni hurler. De toute façon, nous nous trouvions dans une cabane en tôle, plus exactement un container éventré reconverti en abri : crier aurait été inutile.
J’avais traîné Norodom là-dedans une heure auparavant, mais il m’avait fallu une bonne semaine pour monter l’enlèvement. De la porte entrouverte filtrait une brise aux relents de curry : les miasmes du marécage voisin, qui venait lécher un récif de citernes géantes le séparant des tarmacs de l’astroport de Koh-Tap. Un grondement extérieur enflait jusqu’à faire trembler le mobilier : un vieux socle holo, des sièges de salle d’attente fissurés et écaillés, une glacière en mousse cryostat, une banquette défoncée… et, posée sur un cageot en plastique, la mallette. »

Extrait de : L. Genefort. « Mémoria. »

Lum’en par Laurent Genefort

Fiche de Lum’en

Titre : Lum’en
Auteur : Laurent Genefort
Date de parution : 2015
Editeur : Bélial

Première page de Lum’en

« LA VIE INTELLIGENTE sur Garance apparut cent mille ans avant que la planète ne porte ce nom. Cette vie-là n’était pas humaine, ni même organique.
Lum’en était unique en son genre parmi les Dépositaires.
Elle avait commis l’un des crimes les plus graves: détourner un passage à discontinuité spatiale dans le but de le transformer en pont temporel et tenter de modifier le passé de l’univers. La Marraine des Espèces avait laissé des milliers de passages analogues ouvrant sur autant de mondes (bien plus tard, les humains les désigneraient sous le nom de Portes de Vangk). Les Dépositaires voguaient de monde en monde, explorant des volumes d’espace vertigineusement vastes, dans le cerveau de vaisseaux dont ils formaient la conscience. Ils n’avaient aucun ennemi. Le respect des passages à discontinuité spatiale constituait un fondement non seulement de leur civilisation, mais aussi de leur morale personnelle.
Lum’en fut jugée, reconnue coupable et condamnée à une peine de réclusion de dix mille ans sur une planète déserte. Dévoyer un instrument de la Marraine des Espèces était considéré comme une déviance éthique extrême pour des êtres qui se qualifiaient eux-mêmes de Dépositaires. »

Extrait de : L. Genefort. « Lum’en. »

Les peaux-épaisses par Laurent Genefort

Fiche de Les peaux-épaisses

Titre : Les peaux-épaisses
Auteur : Laurent Genefort
Date de parution : 1992
Editeur : Fleuve noir

Première page de Les peaux-épaisses

« Une semaine que Roko moisissait dans une cabine de troisième classe sans hublot, dans un rafiot postal pourri. Une semaine à pianoter sur un terminal tout aussi pourri pour y piocher trois lignes de renseignements.
Hyllos : une naine brune autour d’un soleil massif, chauffé à blanc – un globe d’hydrogène et de méthane quarante fois plus lourd que Jupiter, touillé d’orages grands comme dix Terre.
— Et c’est dans cet endroit charmant que je me rends, grommela Roko en poursuivant le défilement du moniteur. 
Le moniteur reflétait l’image verdâtre d’un gabarit mi-lourd d’une quarantaine d’années, à l’expression neutre, aux muscles longilignes de coureur de fond. Étrangement, l’écran ne parvenait pas à saisir ses yeux, qui restaient plongés dans l’ombre – à moins qu’ils ne fussent de la même couleur que l’écran. 
La “forme de vie dominante” était un truc médusoïde de dix kilomètres de diamètre, dérivant à la façon d’une montgolfière dans la stratosphère de la super-jovienne. »

Extrait de : L. Genefort. « Les peaux-épaisses. »

Les opéras de l’espace par Laurent Genefort

Fiche de Les opéras de l’espace

Titre : Les opéras de l’espace – l’intégrale
Auteur : Laurent Genefort
Date de parution : 2014
Editeur : Gallimard

Première page de Les opéras de l’espace

« Axelkahn était parvenu à l’apogée du dernier mouvement de La sphinge apprivoisée lorsque sa voix défaillit.
Cette seconde précise marqua le prélude de sa déchéance.
 
La décence imposait aux artistes de porter un masque en présence des personnalités de Seroa. Spécialement conçu pour l’opéra adapté de la Deuxième symphonie de Zemön, l’objet tenait davantage du loup, en laissant le bas du visage à découvert. Il représentait un vieil archéarque sur le point de mourir. Axelkahn portait un pantalon à lacets qui collait aux cuisses. Une toge ample, étudiée pour dissimuler au mieux son embonpoint, le drapait.
L’orchestre offrait ce qu’il y avait de mieux dans la Rosace en termes de musiciens. Ce qui n’empêchait pas les violons de se révéler aussi exécrables que les cuivres. Le balinet le décevait un peu moins – si peu cependant !
Cela n’avait guère d’importance. La qualité de l’orchestre ne comptait plus dès lors que son chant s’élevait.
Il y avait foule, comme d’habitude. Des notables bien sûr, mais aussi de simples colons, du moins ceux qui avaient les moyens de payer la place. Les autres devraient se contenter des enregistrements clandestins. Depuis seize ans qu’Axelkahn chantait, il n’existait aucun enregistrement officiel. »

Extrait de : L. Genefort. « Les opéras de l’espace. »

Les engloutis par Laurent Genefort

Fiche de Les engloutis

Titre : Les engloutis
Auteur : Laurent Genefort
Date de parution : 1999
Editeur : Fleuve noir

Première page de Les engloutis

« Ruben essayait en vain de se concentrer sur la partie de dominos en cours. Sans cesse, ses yeux revenaient à la porte blindée derrière lui, que la vitre de la porte, au bout de la travée, réfléchissait. Avachis sur des strapontins, les deux gardes de faction ronflaient bruyamment, leur casque à leurs pieds. L’un d’eux bavait aux commissures des lèvres. À part les policiers, le compartiment du wagon pressurisé était vide.
— Tu n’es pas au jeu, lui reprocha Pavjid en posant un double trois. Ne me dis pas que tu penses encore à tes foutus problèmes de N-7… Carré.
Pendant que le systématicien ramassait les quatre dominos sur le damier noir et jaune, Ruben délaissa la porte vitrée pour diriger son regard vers la fenêtre blindée. Une plaine tourmentée, jonchée d’une caillasse grise, s’étendait jusqu’à l’horizon incliné de cinq degrés par la perspective déchiquetée des Monts Himmelen, vers lequel le petit soleil blanc-jaune déclinait. À ce point de la terraformation, Hanouri était toujours un désert rébarbatif, dont la biomasse se réduisait pour l’essentiel à des bactéries extrémophiles, des lichens et des fougères à haut rendement photosynthétique. »

Extrait de : L. Genefort. « Les engloutis. »

Les chasseurs de sève par Laurent Genefort

Fiche de Les chasseurs de sève

Titre : Les chasseurs de sève
Auteur : Laurent Genefort
Date de parution : 1994
Editeur : Fleuve noir

Première page de Les chasseurs de sève

« Le soleil tombait en oblique de la voûte, par le filtre vert de la frondaison. Certaines feuilles, vernissées comme des piments, s’enroulaient sur elles-mêmes, à l’instar de grosses chenilles inertes.
— Eh, Piérig ! lança Masir dans son dos. Tu as une crampe ou quoi ? C’est à ton tour de pédaler.
— Tu as un sablier dans la tête, répliqua Piérig un peu agacé. À la prochaine colonne, d’accord ?
À l’instant où il disait cela, l’écho d’un craquement se répercuta dans l’Arche. Un bruit qui avait quelque chose d’un clappement de mâchoire gigantesque, et qui provenait d’en bas. Instinctivement, les muscles du jeune homme se contractèrent. Il n’avait pas peur d’une éventuelle rupture de l’alliane qui les portait, non. Il pensait à l’Histoire. Ventremonde, l’ogre-monde d’où était née l’humanité, quand le temps ne coulait pas de la même manière.
Ventremonde avait modelé l’homme et la femme sur ses flancs de roc, les avait nourris de sa terre, afin de les avaler, une fois qu’ils auraient procréé en nombre suffisant pour apaiser sa faim. »

Extrait de : L. Genefort. « Les chasseurs de sève. »