Étiquette : Pelot

 

Mourir au hasard par Pierre Pelot

Fiche de Mourir au hasard

Titre : Mourir au hasard
Auteur : Pierre Pelot
Date de parution : 2013
Editeur : Bragelonne

Première page de Mourir au hasard

« C’était un froid dur et noir, comme si le canal du Rhin, au nord, soufflait à travers toute la ville son haleine polaire. Un froid à vous fêler les dents, vous dépiauter les bronches. Il fallait bien respirer, vaille que vaille.

Zien Doors était en train de se dire : Mon vieux Zien, ne crois-tu pas qu’il y a mille choses plus intéressantes, dans la vie, que se geler les pieds dans cette espèce de mauvaise boîte à sandwichs mal chauffée ? Hein ? Des choses plus passionnantes que surveiller l’autre côté de la rue en attendant qu’une vieille dame de quarante-huit, quarante-neuf ans, sorte de cette putain de maison ?

Il remua ses pieds, frottant les semelles minces de ses chaussures sur le carrelage froid, en espérant que la friction dégagerait un peu de chaleur, une sorte de petit rayonnement amical suffisamment énergique pour traverser la barrière gluante de ses chaussettes poisseuses de sueur. »

Extrait de : P. Pelot. « Mourir au hasard. »

Messager des tempêtes lointaines par Pierre Pelot

Fiche de Messager des tempêtes lointaines

Titre : Messager des tempêtes lointaines
Auteur : Pierre Pelot
Date de parution : 1996
Editeur : Denoël

Première page de Messager des tempêtes lointaines

« Où était Sandir, depuis trois jours ?
À l’instant de l’explosion, Marine regardait les feuilles du bouleau par la fenêtre, et elle crut bien voir le souffle les traverser.
Elle était couchée sur le lit, la tête au pied, en travers sur la couverture et les draps froissés. Dans cette position, elle ne voyait qu’un rectangle de ciel saupoudré de ces paillettes changeantes qu’étaient les feuilles du bouleau. Ordinairement, c’était une vision reposante. Ça lui mettait les idées à marée basse, avait-elle dit un jour à Binki qui était entrée dans la chambre sans frapper, l’avait trouvée dans cette position et avait poussé un cri en la croyant morte. »

Extrait de : P. Pelot. « Messager des tempêtes lointaines. »

Méchamment dimanche par Pierre Pelot

Fiche de Méchamment dimanche

Titre : Méchamment dimanche
Auteur : Pierre Pelot
Date de parution : 2005
Editeur : Pocket

Première page de Méchamment dimanche

« Le jeune homme en bonnet rouge arrêta son taxi devant la gare et souligna :
— Voilà, on y est.
Il ajouta :
— Vous l’avez manqué. C’était sûr.
Le passager à l’arrière haussa imperceptiblement une épaule et attendit que le chauffeur lui ouvre la portière. Il descendit, entre ses mains la boîte à chaussures ficelée, comme s’il craignait qu’elle lui échappe et que son contenu se brise à ses pieds.
— Vous connaissez les horaires ? s’enquit le jeune homme au bonnet.
— Je trouverai, ne vous en faites pas.
— Je ne m’en fais pas, assura le chauffeur du taxi avec l’air de s’en faire quand même un peu.
De tout le trajet, il n’avait cessé de lui décocher des coups d’œil intrigués dans le rétroviseur intérieur. Ni l’un ni l’autre n’avait prononcé un mot. 
»

Extrait de : P. Pelot. « Méchamment dimanche. »

Maria par Pierre Pelot

Fiche de Maria

Titre : Maria
Auteur : Pierre Pelot
Date de parution : 2011
Editeur : Editions Héloïse d’Ormesson

Première page de Maria

« UN PEU DE BLANC DANS BEAUCOUP DE PLUIE, la méchante neige s’était mise à tomber en même temps que la nuit, à la sortie de la ville illuminée.

Des nœuds de fatigue s’étaient serrés plus durs entre ses épaules, les ankylosés et les crampes dans ses cuisses et mollets. Il avait failli s’arrêter sur une aire de stationnement, puis dans un café en bord de rue du premier village traversé, après Remiremont, mais il avait résisté, se disant qu’il touchait au but, qu’il ne lui restait guère plus d’une vingtaine de kilomètres – une vingtaine de kilomètres, après plus de 700 –, et il avait pris la voie rapide au flanc de la vallée qui filait presque droit à l’écart des villages.

La neige pourrie s’était épaissie. Les flocons plaqués au pare-brise tenaient une seconde avant de fondre. Cette averse voltigeuse l’avait surpris. C’était peut-être un peu tôt dans la saison. Il y avait encore beaucoup de feuilles aux arbres, jaunes et flamboyantes, pareilles à des flammes durcies. La neige, en principe, tombait après la chute des feuilles, non ? Il l’avait toujours cru, en tout cas. »

Extrait de : P. Pelot. « Maria. »

Loin en amont du ciel par Pierre Pelot

Fiche de Loin en amont du ciel

Titre : Loin en amont du ciel
Auteur : Pierre Pelot
Date de parution : 2023
Editeur : Gallimard

Première page de Loin en amont du ciel

« Le soir éclos dans les tréfonds des collines « Aux Arcs » s’insinuait depuis peu, sans hâte, à travers les rideaux de pluie. Alors, le jour commença de décliner, palpitant dans les moires des averses en bourrasques.
Trois coups de feu claquèrent, quatre possiblement, une courte salve loin dans les crachis de pluie. Deux fusils, pour le moins.
Le cavalier eut un léger mouvement de la main de rêne d’appui, sous la toile enduite de la longue pèlerine. Les oreilles droites de sa monture réagirent brièvement. Il écouta, retenant son souffle, mais poursuivit, sans vraiment ralentir, dans cette méchante trouée pénétrée d’eau. Les fers des sabots piochaient dans les pierres roulantes.
Trois – ou quatre ? – coups de fusils. Quelque part au-delà des murs de pluie et de feuilles.
S’ils avaient été réellement tirés. Réellement entendus. »

Extrait de : P. Pelot. « Loin en amont du ciel. »

Les promeneuses sur le bord du chemin par Pierre Pelot

Fiche de Les promeneuses sur le bord du chemin

Titre : Les promeneuses sur le bord du chemin
Auteur : Pierre Pelot
Date de parution : 2009
Editeur : Milady

Première page de Les promeneuses sur le bord du chemin

« Au premier coup de sonnette il sursauta.

Il était effondré dans ce fauteuil crapaud aux accoudoirs de cuir râpé et aux coutures défaites. La bouteille coincée entre ses cuisses, le verre aux trois quarts plein dans la main droite. Sa grande taille et surtout cette position qui le tassait en une volumineuse et compacte masse faisaient paraître le fauteuil anormalement petit et étroit.

Au deuxième coup de sonnette, et au troisième qui suivit presque instantanément, il ne broncha pas d’un poil. Pas un frisson.

Le soleil à présent commençait de descendre vers le soir et frôlait la cime des arbres en ligne, là-bas, à deux ou trois cents mètres, peut-être moins, à l’ouest du grand jardin. Les ombres s’étaient considérablement allongées à la surface du gazon brûlé par ce qui semblait être désormais une éternelle canicule. La lumière avait quelque chose de lourd, une pesanteur, une consistance de brume dense, cuivrée, se glissant inéluctablement par les baies coulissantes. À l’intérieur, les ombres enchevêtrées en un treillis hirsute occupaient une bonne moitié de l’espace. »

Extrait de : P. Pelot. « Les promeneuses sur le bord du chemin. »

Les pieds dans la tête par Pierre Pelot

Fiche de Les pieds dans la tête

Titre : Les pieds dans la tête
Auteur : Pierre Pelot
Date de parution : 1982
Editeur : Calmann-Lévy

Première page de Les pieds dans la tête

« APRÈS le départ des contrôleurs de l’assurance Thom-Phil, deux clients, que Diph Bilbee ne connaissait pas, poussèrent la porte du magasin. Ils étaient les bienvenus…

Diph et les jeunes gens parlèrent de bandes dessinées (ce procédé de narration alliant graphisme et texte, complètement tombé en désuétude) pendant plus d’une heure ; ils envisagèrent des possibilités d’échanges, les deux jeunes se révélèrent des amateurs plus qu’éclairés – à les entendre, ils possédaient en commun une multitude d’albums et même des numéros doubles de journaux en bon état, de magazines hebdomadaires pour la jeunesse des années soixante-dix. Ils achetèrent un album de Jeleu, ainsi qu’un autre signé Druillet, dépourvu de couverture mais authentifié. Ils s’en allèrent sur la promesse de revenir bientôt avec une cargaison de numéros doubles… »

Extrait de : P. Pelot. « Les pieds dans la tête. »

Les jardins d’éden par Pierre Pelot

Fiche de Les jardins d’éden

Titre : Les jardins d’éden
Auteur : Pierre Pelot
Date de parution : 2020
Editeur : Gallimard

Première page de Les jardins d’éden

« Bien entendu tu es content d’être sorti du fracas. Sauf que tu en traînes toujours des lambeaux avec toi, que l’échappée prend son temps, la garce, qu’on dirait bien n’en avoir jamais vraiment fini avec elle, au fond.
 
La bécasse de l’accueil leva de ses mots fléchés un œil qu’elle figea sur lui, le laissant venir à elle dans l’entrebâillement de sa paupière, sans trembler d’un cil.
La porte à tambour antédiluvienne émettait toujours le même soupir hoquetant, au démarrage. Seuil franchi, il s’était retrouvé tout net une bonne poignée d’années en arrière. Coincé dans la grimace d’un autre présent.
— Salut, Jip, dit la bécasse.
Paulette. Pareille à elle-même, irrémédiablement inaltérée, femme tronc derrière son meuble, dans un de ses immuables pulls à col roulé plus ou moins lâches – seul accommodement aux saisons – qu’elle portait indifféremment par canicule et neige de décembre, clim ou pas clim. »

Extrait de : P. Pelot. « Les jardins d’Eden. »

Les îles du vacarme par Pierre Pelot

Fiche de Les îles du vacarme

Titre : Les îles du vacarme
Auteur : Pierre Pelot
Date de parution : 1981
Editeur : Bragelonne

Première page de Les îles du vacarme

« Comment un homme normal aurait-il pu raisonnablement aimer Lorane ?

Ce n’était pas la première fois qu’il se posait la question ; en fait, il se l’était posée aussitôt après l’avoir rencontrée. Dans les mois qui suivirent, elle devint une sorte de leitmotiv qui ne manquait jamais de s’imposer à lui, tous les jours, tôt ou tard, lui vrillant le crâne et interrompant le cours ordinaire de ses pensées… Il s’en était accommodé. Et n’avait toujours pas trouvé de réponse satisfaisante.

Peut-être était-ce mieux, finalement ? Une réponse satisfaisante ne signifierait-elle pas la fin de quelque chose ? Encore une question à laquelle Dylan Dancer Moab, le Veilleur, ne voulait surtout pas apporter l’ombre d’une réponse. Rien qui aurait pu clarifier le problème. Surtout pas… »

Extrait de : P. Pelot. « Les Îles du vacarme. »

Les étoiles ensevelies par Pierre Pelot

Fiche de Les étoiles ensevelies

Titre : Les étoiles ensevelies
Auteur : Pierre Pelot
Date de parution : 1972
Editeur : Editions de l’amitié

Première page de Les étoiles ensevelies

« Le bonhomme sifflait entre ses dents un bout de mélodie infatigablement répété, toujours le même ; il se composait pour ce sifflotement une mine très sérieuse, en totale opposition avec l’allégresse du petit refrain sautillant. Du coin de l’œil, Antonio apercevait les joues mal rasées du bonhomme, alternativement gonflées et dégonflées, tremblotantes, suivant le rythme.

La route était mauvaise, crevassée par le gel, engoncée entre deux immenses étendues planes qu’une haie, ou un bosquet étriqué, parfois, tentaient de relever d’une écrasante monotonie. De temps à autre, également, la tache d’une bande de terre labourée, avec le bourreau mécanique dessus, et une poignée de silhouettes humaines lâchées en grappe. Il arrivait qu’un cheval rude ou un bœuf, remplaçât le tracteur, que l’homme fût seul aux mancherons de la charrue, mais c’était rare. Antonio avait compté dix tracteurs pour un bœuf ou un cheval. »

Extrait de : P. Pelot. « Les étoiles ensevelies. »