Catégorie : Livres

 

Pierre-fendre par Brice Tarvel

Fiche de Pierre-fendre

Titre : Pierre-fendre
Auteur : Brice Tarvel
Date de parution : 2017
Editeur : Les moutons électriques

Première page de Pierre-fendre

« Il pleuvait. C’est-à-dire que, comme de coutume, des gouttes froides tombaient de la voûte, donnant l’illusion que les pierres du château transpiraient. En fait, l’averse n’avait rien d’étrange, puisqu’elle était produite par l’humidité accumulée dans les hauteurs et grossie par des ruisselets d’infiltration. Cela amenait certains à penser que le manoir gisait au plus profond d’un océan, que son étanchéité se trouvait de plus en plus menacée et, qu’un beau jour, les murailles céderaient dans un grand fracas pour déverser des eaux dévastatrices qui ne laisseraient rien debout. Il y avait de cela quelques années, juché sur un grêle échafaudage, un nigaud s’était employé à badigeonner d’azur une partie de l’immense plafond, mais le piteux trompe-l’œil n’avait guère tenu et on avait eu à subir des chutes de confettis bleus durant des mois et des mois.

La pluie ne tombait pas que du ciel de pierre. Elle se logeait aussi dans le cœur d’Aurjance, plus glaciale encore, gommant tout ce qui faisait que la jeune fille se levait d’ordinaire au petit matin en se réjouissant des occupations qui seraient les siennes au cours de la journée. »

Extrait de : B. Tarvel. « Pierre-fendre. »

Le bal des iguanes par Brice Tarvel

Fiche de Le bal des iguanes

Titre : Le bal des iguanes
Auteur : Brice Tarvel
Date de parution : 2008
Editeur : Editions Lokomodo

Première page de Le bal des iguanes

« — Le jeu est le dernier recours avant l’ennui, soupira Robert Vauquelin, dit Bob, l’ancien truand.

Ne laissant filtrer qu’un mince trait de regard sous ses lourdes paupières de saurien, il fixait ses cartes comme s’il avait en main tous les mandats d’arrêt qui avaient émaillé sa longue et tumultueuse existence.

Henriette Dunoyer, installée face à Vauquelin, de l’autre côté de la table, émit un petit rire idiot, ce qui était chez elle une réponse à tous les propos qu’elle pouvait saisir, même quand elle n’en comprenait pas le sens. Était-elle consciente que cette hilarité imbécile et sporadique était tout ce qu’elle conservait de sa jeunesse depuis longtemps envolée, gâchée en moult minauderies mondaines ? Toujours est-il que, pour qui n’y était pas habitué, ce grelottement aux sonorités cristallines produit par sa gorge garnie de pendeloques de peau fanée ne manquait pas de surprendre avant de faire sourire, puis d’irriter.

— Le jeu, murmura Leufroy Nox en remuant à peine les lèvres, c’est surtout, avec l’incontinence, ce qui rend semblables les deux extrémités de la vie. »

Extrait de : B. Tarvel. « Le Bal des Iguanes. »

La montre de Rimbaud par Brice Tarvel

Fiche de La montre de Rimbaud

Titre : La montre de Rimbaud
Auteur : Brice Tarvel
Date de parution : 2018
Editeur : De Borée

Première page de La montre de Rimbaud

« Combien étaient-ils autour de la gare de Voncq ? Sans doute à peine une vingtaine, certains avec une valise au bout du bras, d’autres un panier, et il y avait même une vieille femme qui portait une poule en cage et qui semblait avoir honte des caquètements intempestifs de l’animal. Ils venaient de descendre du train, conservant une odeur de fumée prisonnière de leurs vêtements, ou bien s’élançaient bras ouverts vers une connaissance ou une personne plus chère encore. C’était sous un soleil plus que guilleret, dans une lumière qui blessait les yeux si on les levait trop. La modeste station au toit de tuiles rutilant ne possédait pas d’horloge, mais chacun avait entendu sonner midi au clocher du village. L’air sentait juillet, les blés attendant la faux, et une clématite palissée non loin de là y ajoutait une fragrance subtile. »

Extrait de : B. Tarvel. « La montre de Rimbaud. »

Destination cauchemar par François Sarkel

Fiche de Destination cauchemar

Titre : Destination cauchemar
Auteur : François Sarkel
Date de parution : 2007
Editeur : Rivière blanche

Première page de Destination cauchemar

« Voir Rangoon et vomir… C’était la formule peu flatteuse qu’avait trouvée Florène pour se venger de l’odeur écœurante du ngapi qui, depuis son arrivée dans la capitale de la Birmanie, l’incommodait particulièrement. Arnaud, lui, habitué plus que sa compagne à renifler les relents les plus inattendus de la planète, ne manifestait aucune allergie olfactive et paraissait même apprécier les exhalaisons pour le moins singulières qui assaillaient ses narines.
— Ton odorat n’a aucune finesse, répétait Florène, irritée. Le nez dans le cul d’une vache, tu afficherais encore des airs de testeur de fragrances raffinées.
Ce à quoi Arnaud se contentait de répondre par un sourire amusé, tant il était heureux d’être là avec l’insouciance pour seul objectif.
Ça faisait combien de temps qu’il n’avait pas pris de véritables vacances ? Il n’aurait su le dire. Mais, cette fois, c’était fait, il se baladait en simple touriste – même s’il n’en possédait guère l’apparence si souvent ridicule – et savourait pleinement de ne pas avoir à s’investir dans des affaires à but lucratif comme le lui imposait d’habitude son job de businessman international. »

Extrait de : F. Sarkel. « Destination cauchemar. »

Les chemins d’eau par Brice Tarvel

Fiche de Les chemins d’eau

Titre : Les chemins d’eau (Tome 1 sur 1 – Astar Mara)
Auteur : Brice Tarvel
Date de parution : 2019
Editeur : Les moutons électriques

Première page de Les chemins d’eau

« La valetaille était à ses trousses. Il fallait s’y attendre. Tous des brutes, des gens capables de lui briser un membre afin de la punir. À la lueur des rares lanternes qui venaient d’être allumées avec la tombée du jour, elle avait même aperçu un grand couteau de cuisine dans le poing de Buach, l’horrible vieux tournebroche ; il empestait l’huile de friture, possédait une panse de poisson-lune et une dentition aussi noire que le cul de ses casseroles.

Elle courait, haletait, foulait les pavés rendus glissants par de fines gouttelettes de pluie mêlées à la poussière froide des embruns ; on eût dit que le léger brouillard au goût de sel qui se ventrouillait en permanence dans le lacis des ruelles du sinistre petit port de Tolldubh aspirait à s’épaissir pour se faire complice des irascibles vagues proches et leur livrer ce vulnérable abri indispensable à la sécurité de ceux ayant choisi d’y trouver refuge. Pour un peu, on n’aurait pas été étonné plus que ça de voir des poissons et des poulpes s’immiscer dans les airs afin d’en prendre possession. »

Extrait de : B. Tarvel. « Astar Mara – Les chemins d’eau. »

Les chasseurs de chimères par Brice Tarvel

Fiche de Les chasseurs de chimères

Titre : Les chasseurs de chimères (Tome 2 sur 2 – Arnaud Stolognan)
Auteur : Brice Tarvel
Date de parution : 1995
Editeur : Multivers éditions

Première page de Les chasseurs de chimères

« Il avait beaucoup neigé en Lozère ces derniers jours et davantage encore dans la région de Florac, là où, au bord du Tarn, se dressaient les épais murs gris chapeautés de lauzes du monastère désaffecté d’Arnaud Stolognan. À l’écart de toute autre habitation, tournant le dos à une ancienne châtaigneraie retournée à la sauvagerie, l’imposante bâtisse trônait au milieu d’une vaste pelouse où quelques arbres fruitiers étiraient leurs branches noires et dépouillées. Une allée plus ou moins rectiligne traversait cet espace pour mener à la demeure, mais la neige l’avait fait disparaître, donnant l’impression que les lieux n’étaient plus destinés qu’aux oiseaux transis.

On était début janvier, à cette période où les confiseurs fourbissent leurs armes pour repartir en guerre, de sorte que tout semblait encore engourdi, plongé dans une léthargie que le mauvais temps n’était pas fait pour secouer. Habituellement débordé d’appels par tous les moyens modernes de communication installés dans son cloître, Arnaud n’échappait pas à l’apathie générale. Il guettait ses télécopieurs, rôdait autour de ses téléphones comme s’il s’était agi de bombes à retardement, mais aucun de ses multiples correspondants à travers le monde ne daignait le faire vibrer par une proposition alléchante. »

Extrait de : B. Tarvel. « Les chasseurs de chimères – Arnaud Stolognan. »

La vallée truquée par Brice Tarvel

Fiche de La vallée truquée

Titre : La vallée truquée (Tome 1 sur 2 – Arnaud Stolognan)
Auteur : Brice Tarvel
Date de parution : 1995
Editeur : Multivers éditions

Première page de La vallée truquée

« Malgré son habitude de jouer les globe-trotters, Arnaud avait du mal à réaliser qu’il se trouvait à quelque douze mille kilomètres de son confortable monastère désaffecté de Lozère, loin des fax, téléphones et ordinateurs qui le reliaient au monde entier et lui permettaient de traiter des affaires plus ou moins licites et juteuses avec ses multiples correspondants.

— Le Pérou ? s’était étonnée sa vieille mère. Il y a ces révolutionnaires du Sentier Lumineux, là-bas, et puis des Indiens, des trafiquants de drogue, des tremblements de terre…

C’était une ancienne lanceuse de couteaux. Elle vivait désormais avec lui et écoutait de la musique classique à longueur de journée. Il l’avait fait taire en lui déposant un baiser sur le front et en montant le son de la chaîne hifi qui distillait le troisième concerto de Rachmaninov.

Ce jour-là, parmi les nombreuses propositions qui lui étaient parvenues, deux avaient plus particulièrement retenu son attention, car elles concernaient la même région du Pérou, les solitudes boisées et hostiles du Gran Pajonal. »

Extrait de : B. Tarvel. « La vallée truquée – Arnaud Stolognan. »

La chair sous les ongles par François Sarkel

Fiche de La chair sous les ongles

Titre : La chair sous les ongles
Auteur : François Sarkel
Date de parution : 1990
Editeur : Vaugirard

Première page de La chair sous les ongles

« Il avait encore aux oreilles le bruit de la terre tombant sur le cercueil. Dans son souvenir, l’enterrement de sa mère se résumerait probablement à ce bruit-là, à l’image de ce curé rabougri déambulant en marmonnant dans une église presque vide et à cette douleur lancinante due à des chaussures neuves qu’il lui avait fallu supporter. Il n’avait pas été vraiment triste, s’était plutôt senti absent, incapable de s’intégrer réellement à ce qui se déroulait sous ses yeux. Il avait été seul à déposer une couronne, seul à suivre le corbillard.

Sa petite Visa avait maintenant réintégré le garage qu’elle ne quittait que rarement et son lourd pardessus pendait au portemanteau du vestibule. Il s’était laissé tomber sur une des chaises de la cuisine et, bras ballants, comme hébété, promenait son regard autour de lui sans parvenir à fixer son attention sur quelque chose. Il se sentait épuisé, prisonnier d’un corps épais qui lui était étranger et qu’il avait l’impression de ne plus être jamais capable d’animer. »

Extrait de : F. Sarkel. « La chair sous les ongles. »

Dépression par François Sarkel

Fiche de Dépression

Titre : Dépression
Auteur : François Sarkel
Date de parution : 1990
Editeur : Fleuve noir

Première page de Dépression

« Parce que la pluie redoublait d’intensité à ce moment-là, parce qu’elle crépitait tout autour de lui et fouettait son vieux ciré, Sarg Viger n’entendit pas la voix éraillée de la grosse Yaya qui l’interpellait.
— Qu’est-ce que tu fous encore sur mon débarcadère, Sarg ? Je t’ai déjà dit mille fois qu’il n’y avait pas un seul de tes maudits rats aux alentours de mon domaine.
S’il ne perçut pas les paroles agressives de la loueuse de bouées, Sarg enregistra les vibrations des planches pourries et se retourna.
— Tiens, cette chère Yaya, se gaussa-t-il. La plus belle bouée d’entre toutes…
Comme à son habitude, la grosse femme était boudinée dans un imperméable de plastique transparent sous lequel apparaissait une de ses éternelles robes à fleurs que ses formes plus qu’opulentes rendaient grotesque. Elle ne s’était pas donné la peine de se protéger le crâne pour parcourir les quelques mètres qui séparaient sa baraque de l’extrémité de l’appontement, aussi ses cheveux blonds décolorés étaient-ils trempés, serpentant en mèches poisseuses sur sa face mafflue. »

Extrait de : F. Sarkel. « Dépression. »

Hydres par Don Hérial

Fiche de Hydres

Titre : Hydres (Tome 2 sur 2 – La guerre des sept minutes)
Auteur : Don Hérial
Date de parution : 1990
Editeur : Fleuve noir

Première page de Hydres

« Seize jours majeurs s’étaient écoulés depuis que l’aviso ujkaje avait réintégré l’espace continu. Seize jours de silence radio absolu. À bord, seuls les systèmes indispensables à la survie de l’équipage continuaient d’être alimentés par fusion froide, et le blindage de la centrale énergétique avait été triplé pour éviter une émission trop massive de neutrons. Privé de toute propulsion, le petit vaisseau filait, invisible aux écrans des détecteurs, mû par la seule inertie d’une accélération interrompue seize jours plus tôt.

Immobiles dans l’ombre de l’unique habitacle : cinq Humains mâles, sanglés sur leur couchette. Ils n’étaient conscients que depuis quelques heures, mais les rares paroles échangées attestaient leur lucidité. Et leur peur : un mois plus tôt, celui que l’opinion publique qualifiait déjà de maître terroriste – de Coordonnateur –, leur avait fait parvenir ses instructions, sans toutefois quitter l’abri de son repaire secret. Leur mort probable y figurait en toutes lettres.

Protégé des radars de la Défense Spatiale par sa petite taille, négligé par les scanners puisque dépourvu de toute signature nucléaire due à la propulsion, l’aviso plongeait, aussi immatériel qu’un fantôme, vers Charahee, un soleil mineur de l’Essieu dont l’escorte planétaire – trois mondes durs et froids – s’était avérée sans intérêt. »

Extrait de : D. Hérial. « Hydres. »